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l'entreconnaissance

Publié le Lundi 10 Novembre 2014 à 22:38:10

D'un siècle à l'autre, l'histoire des chrétiens d'Orient a une fâcheuse tendance à se répéter. Ces vieilles civilisations, qui renferment encore quelques secrets sur les origines de la vie du Christ, se traînent dans le temps et l'espace avec le poids de la malédiction sur les épaules. Ce fardeau de la servitude relie Joseph Yacoub à Jean-François Colosimo, auteurs de deux ouvrages. Le premier, sur l'extermination des Assyro-Chaldéo-Syriaques commise par les Jeunes-Turcs en  1915 dans la foulée du génocide des Arméniens ; le second, sur le calvaire des chrétiens d'Orient depuis cinquante ans de révolutions dans le monde arabo-musulman.

 

Le génocide des Assyro-Chaldéens est peu connu, et toujours nié par son auteur, la Turquie. Tout le travail de Joseph Yacoub, professeur de science politique à l'Université catholique de Lyon et lui-même descendant de rescapés, consiste à alerter l'opinion publique sur l'injustice infligée à son peuple. Il décortique les méthodes du régime jeune-turc pour asseoir la domination turque sur l'ensemble des minorités de l'Empire, au nom d'un processus d'homogénéité nationale. Longtemps refoulée ou intériorisée, cette tragédie à cheval sur l'Anatolie et la Mésopotamie est désormais contée et affichée par les nouvelles générations.

liens directs avec notre Antiquité

Elle est d'autant plus revendiquée aujourd'hui – et Joseph Yacoub transmet le témoin de la barbarie à Jean-François Colosimo – que l'actualité des chrétiens d'Irak et de Syrie étoffe hélas leurs discours fatalistes. Quel que soit le régime en place, chaque crise politique d'envergure prend les plus faibles et les moins intégrés pour cibles des persécutions. Et, à ce compte, les chrétiens d'Orient figurent en tête de liste des groupes à abattre. Or, comme l'écrit M. Colosimo dans un récit plein d'humilité, ces peuples sont par leur patrimoine culturel et archéologique des liens directs avec notre Antiquité.

En effet, entrer dans le labyrinthe de ces premières sociétés chrétiennes, c'est repartir des siècles en arrière, où chacune d'entre elles s'attache à son credo théologique sur la nature divine et/ou humaine de Jésus. Comment, peut-on se demander après la lecture de ces deux ouvrages, la communauté internationale, si préoccupée à intervenir contre les forces destructrices des bouddhas de Bamiyan en Afghanistan ou des mausolées de Tombouctou au Mali, ne s'est-elle jamais interrogée sur son incapacité à sauver ces vieux peuples des tempêtes de sable de l'Histoire ?

Par l'incandescence de leur narration et les cris de révolte de leurs auteurs, les ouvrages de Joseph Yacoub et de Jean-François Colosimo rappellent, à quelques mois des célébrations en  2015 du centenaire du génocide des Arméniens, qu'à force de subir les coups de l'Histoire, c'est l'avenir des chrétiens au Proche-Orient, leur berceau, qui est en question.

 

Gaïdz Minassian

 

Les Hommes en trop, la malédiction des chrétiens d'Orientde Jean-François Colosimo Fayard, 312 p., 19  euros

Qui s'en souviendra ? 1915 : le génocide assyro-chaldéo-syriaquede Joseph Yacoub Les Editions du Cerf, 304 p., 24  euros

© Le Monde 23/10/14
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Publié le Lundi 10 Novembre 2014 à 22:24:56

Contamine-sur-Arve : un lieu de prière ouvert au centre hospitalier

lundi 13.10.2014, 13:35

Un lieu de « prière et de silence » a été inauguré vendredi 10 octobre au centre hospitalier Alpes Léman (Chal), un espace où les signes spécifiques à la religion chrétienne, juive et musulmane sont représentés.

« Mais ce n'est ni une synagogue, ni une église, ni une mosquée, il se veut ouvert à tous, a souligné dans un communiqué le service aumônerie. Il n'est pas un lieu de célébration, mais un lieu de silence, de prière et de paix ou ceux et celles qui viennent peuvent puiser un peu de force pour eux-mêmes et pour leurs proches. »

Le mobilier en bois (pupitre, menora, mihrab, tabernacle, table) a été fabriqué par le Centre éducatif catholique d'apprentissage des métiers (Cecam) de Saint-Jeoire.

La croix, dessinée par une étudiante en design, a été réalisée par une artiste verrier de Saint-Pierre-en-Faucigny.

Enfin, c'est une restauratrice en peinture murale et dorure qui a peint les écritures des trois versets, un de la Torah, un de la Bible et un du Coran ainsi que les calligraphies réalisées par un pasteur protestant. « Il s'agit de trois colombes en plein vol qui signifient le mot paix en hébreux, en français et en arabe », a précisé l'aumônerie du Chal.

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Le Messager

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Publié le Lundi 10 Novembre 2014 à 22:17:48

Opinion  : Alain Bentolila, linguiste, professeur à l’université Paris-Descartes.

 

«  Il est urgent d’imposer dans le débat public une distinction fondamentale entre « appartenance » et « identité »

LA CROIX.FR 13/10/14

Dans une période où les musulmans français, parce qu’ils sont musulmans, sont sommés de clamer haut et fort qu’ils n’approuvent pas les actes de barbarie, dans un temps où les juifs français, parce que juifs, sont tenus de se positionner par rapport aux exactions du gouvernement israélien, il est urgent d’imposer dans le débat public une distinction fondamentale entre « appartenance » et « identité ». On n’est pas un juif, un musulman ou un catholique, on appartient seulement, par un hasard heureux ou non, à un groupe qui partage certaines croyances, certaines habitudes culturelles, certains rituels. Cette appartenance ne doit en aucune façon effacer la singularité intellectuelle de chacun. Elle ne définit pas notre identité. La distinction entre appartenance et identité est aujourd’hui absolument essentielle, car c’est elle qui permet de comprendre nos différences, nos divergences et d’en « disputer » sans pour autant trahir sa communauté ou avoir honte de ses racines. Une appartenance ne se nie pas mais elle ne nous définit pas. J’appartiens à la communauté juive, mais je revendique le droit de ne pas être sioniste ; tu appartiens à la communauté musulmane, mais tu reconnais le droit à l’existence de l’État d’Israël. Tout citoyen doit avoir la capacité d’analyser avec objectivité, profondeur historique et humanisme une situation dans toute sa complexité en refusant que quiconque, au nom d’une appartenance commune, vienne lui imposer une vision tronquée et stéréotypée. En bref la laïcité française n’interdit pas une appartenance religieuse, mais elle garantit à chacun sa liberté de penser en forgeant, par l’éducation qu’elle dispense, sa probité intellectuelle.

L’appartenance à une communauté confessionnelle et/ou culturelle contribue bien sûr à colorer notre identité d’une façon particulière ; elle la place au sein d’un réseau où l’on partage des comportements, des croyances et des goûts communs qui sont autant de signes de reconnaissance ; mais en aucun cas cette appartenance assumée ne doit nous dicter nos analyses politiques, scientifiques ou sociales. En aucun cas elle ne doit aliéner notre liberté de penser et de juger. Rabbins, imams, quand, dans une synagogue ou une mosquée, vous dénoncez avec partialité et haine parfois l’ennemi arabe ou juif, vous offensez Celui-là même que vous prétendez honorer. Et vous ajoutez le blasphème à la bêtise. Vous les premiers devriez repousser la tentation d’imposer à vos fidèles une pensée grégaire, partiale et dangereuse. Car ce qui distingue une religion d’une secte, c’est la reconnaissance de la complexité, l’acceptation de l’incertitude et du doute.

La médiocrité grandissante de médias complices, la baisse progressive des exigences scolaires ont laissé s’installer une terrible inculture historique, littéraire et scientifique. Pire encore, se généralise une forme de méfiance envers tout ce qui ressemble de près ou de loin à une réflexion intellectuelle. Et nous avons ainsi renoncé à l’ambition du « nourrissage culturel », seul rempart contre la dictature de l’appartenance. Oubliés le questionnement ferme, le raisonnement rigoureux, la réfutation exigeante, toutes activités tenues aujourd’hui pour ringardes et terriblement ennuyeuses, remplacées par le plaisir immédiat, l’imprécision et la passivité. Les valeurs culturelles, sociales et morales qui fondent notre intelligence collective ont cédé la place aux apparences identitaires, filles de l’entre-soi. Nous nous trompons d’ennemi ! Ce n’est certainement pas la diversité culturelle et confessionnelle qui nous menace. Le danger que nous avons aujourd’hui à affronter, c’est une véritable « consomption intellectuelle » : celle qui verra bientôt nos mémoires vides errer sans but dans un désert aride, attirées par le premier appel à la haine, obéissant au premier mot d’ordre de meurtre. La mère des batailles ne se livrera pas contre d’autres groupes, contre d’autres communautés, mais avec tous ceux qui, sans se renier, accepteront de chercher ensemble le sens de nos vies. Le risque c’est d’oublier la valeur de la Vie tout en braillant chacun dans son coin le nom de Celui qui est censé l’avoir créée. S’il existe, qu’il soit sourd à ces invocations ; car si nous n’y prenons pas garde, nous finirons en son nom par nous entre-tuer ici même dans notre République : l’insulte appelant l’insulte, la vengeance appelant la vengeance, le sang appelant le sang.

(1) Dernier livre paru, chez First :

 

Comment sommes-nous devenus si cons ?

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Publié le Jeudi 16 Octobre 2014 à 00:33:22

Moi aussi, “je m’engage” !

 

Le 1er octobre au soir, place Bellecour, au soleil couchant, devant quelques 1.200 personnes et Mgr Louis-Raphaël Sako, patriarche des Chaldéens, ils étaient 110 à s’engager ensemble à favoriser, dans leur quotidien, des attitudes de dialogue et de respect de l’autre, pour construire ensemble un monde de paix. Parmi eux, le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, le Père Eklemandos, de l’Eglise copte orthodoxe, Monsieur Kamel Kabtane, recteur de la Grande mosquée de Lyon, le Révérend Ben Harding, de l’Eglise anglicane de Lyon, Monsieur Joël Rochat, président du Consistoire du Grand Lyon de l’Eglise protestante unie de France, et Monsieur Richard Wertenschlag, grand rabbin de Lyon.

Deux semaines plus tard, ils sont plus de 1.000 à avoir répondu présent et surtout à avoir voulu s’engager pour « une société qui prône l'écoute, l'entraide, le savoir vivre ensemble, le collectif... ». Ils habitent la France entière, mais aussi la Belgique, l’Italie, la Turquie, le Cameroun, l’Algérie ou la Tunisie.

Ils sont de toutes les religions. Mais pas seulement ! L’un des signataires n’écrit-il pas aux auteurs du texte : « Il manque : "Nous, citoyens agnostiques ou athées, conscients de l'universalité des valeurs humanistes véhiculées par ce message, nous rangeons nous délibérément aux côtés des auteurs de cette pétition" ».

Chacun s’est senti rejoint dans son vécu, quelque soit son parcours, sa profession, ses engagements, ses responsabilités. Pas besoin d’être universitaire, ni chef d’entreprise pour signer car : « Si vous ouvrez la liste aux humains sans titre, vous pouvez inscrire mon nom : Patrick » et « cet engagement ne doit pas être  réservé à "l'élite" ».

Ainsi, de jour en jour, ce sont toutes les composantes de la société qui se sont retrouvées à vouloir signer : médecin, attaché de presse, pasteur, directeur, conseillère conjugale, juriste, étudiant, employé qualifié, archiviste, demandeur d’emploi, évêque, entrepreneur, journaliste, chercheur, mère au foyer, menuisier, fonctionnaire, policier, courtier, pharmacien, ingénieur rural, artiste, imam, pédiatre, agriculteur, rabbin…

Des collectifs ont voulu aussi s’engager : la Conférence des responsables de culte en France, la Communauté du Sappel, l’Association Action Espoir ou celle des Amis d’Etty Hillesum, la Fédération des Associations des Mosquées de l’Isère…

Christian le résume bien : « En ce sens, le texte s'adresse à tous, croyants ou non, car en faisant le tour d'un large panel de situations professionnelles, associatives, personnelles, il nous montre que nous pouvons tous agir, même individuellement, pour faire reculer le mépris de l'autre, la persécution et l'extrémisme et "défendre et promouvoir les valeurs qui fondent notre République : Liberté, Egalité, Fraternité" ». Et Etienne d’ajouter : « J'aurais apprécié aussi un engagement de "nous, théologiens", à "s’atteler à la grande entreprise qui consiste à désacraliser la violence" quand il y a lieu dans nos religions, pour reprendre l'expression de Ghaleb Bencheikh ».

Avec leurs mots, les uns et les autres ont exprimé en quoi ce texte les rejoignait :

·         « Un texte plein d’espérance »

·         « Le texte que vous avez écrit me parle et je me reconnais complétement dans ce désir de partage et de vivre ensemble avec nos différences enrichissantes »

·         « Bravo pour les mots justes de cette pétition qui nous engagent tous sur un chemin de confiance ».

Mais, par delà l’appel, c’est surtout une dynamique qui s’est esquissée :

·         « Parce que se positionner clairement est nécessaire aujourd'hui, je signe ! »

·         « Après, il sera trop tard pour pleurer... »

·          « Un large mouvement peut naitre ainsi qui redonnera courage et confiance à ceux qui croient être seuls à vouloir la fraternité, désespérant du genre humain ».

·         « Notre engagement est pour la paix internationale. C'est un devoir et non pas une faveur ».

·         « Bonne initiative. Il était temps de semer la bonne graine. Courage ! »

·         « A chacun son grain de sable pour la PAIX ! »

·         « Il est important de relayer cette initiative. Face au risque du "choc des ignorances", il est urgent de mettre en place un TRAVAIL de proximité, de connaissances ».

Il apparait ainsi que l’Appel des 110 libère la parole, fait grandir l’espérance, initie une fraternité en mouvement, fait naitre un vivre ensemble fécond, source de richesses et d’entre-connaissance.

Latéfa le résume ainsi : « J'ai lu avec grand intérêt le texte "Nous nous engageons" et c'est avec un grand plaisir que je le signe et l'approuve. J’espère que votre combat pour le rapprochement de tous et la foi dans les cœurs vaincra. A bientôt, inchah Allah, dans des actions fédératrices ».

 

 

Il est encore possible de s’engager en :

http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2014N46844

 

 

Source : http://www.cdo-lyon.cef.fr/spip.php?article1947

Afficher le commentaire. Dernier par REVEUR le 17-10-2014 à 18h17 - Permalien - Partager
Publié le Jeudi 16 Octobre 2014 à 00:30:52

Analyse : pour comprendre

le slogan de l'État islamique - «baqiya»
http://www.religion.info/newimages/pixel.gif
Romain Caillet
12 Oct 2014

http://religion.info/french/articles/article_653.shtml#.VD6Lso0cQ5s

Les regards sont aujourd'hui braqués sur l'État islamique, nouvel acteur qui s'impose pour l'instant sur le terrain malgré les frappes aériennes, mais qui exerce aussi un attrait au-delà du Proche-Orient. Dans une fine analyse documentée, Romain Caillet explique ce que signifie le slogan le plus populaire de l'État islamique.


Force est de constater qu'aujourd'hui al-Qaïda a été marginalisée médiatiquement par l'État islamique (EI), dont les militants beaucoup plus jeunes sont parvenus à produire une nouvelle culture jihadiste qui ringardise celle de leurs aînés. Symbole de cette nouvelle culture jihadiste, le slogan «
baqiya» est aujourd'hui répété inlassablement par les combattants jihadistes, sur les champs de bataille, mais aussi par tous les sympathisants de l'EI, tant dans l'espace publique que sur les réseaux sociaux.À l'heure où les jihadistes de l'État islamique s'apprêtent vraisemblablement à prendre la ville stratégique de Kobane, située sur le côté syrien de la frontière avec la Turquie, l'organisation semble plus que jamais au centre de l'actualité internationale. Fondé en octobre 2006, à partir d'une coalition de groupes jihadistes, dont la principale composante était la branche irakienne d'al-Qaïda, et d'une trentaine de tribus sunnites représentant 70 % de la population de la province d'al-Anbar, l'État islamique incarne aujourd'hui «l'idéal militant» pour la plupart des sympathisants du courant jihadiste.

Le slogan «baqiya» (littéralement «rester»), signifiant que l'EI se maintiendra quoi qu'il advienne, est né durant une période difficile que traversa l'organisation, lorsque celle-ci fut expulsée de ses bastions irakiens par les milices de la «sahwa», forces supplétives arabes sunnites de l'occupation américaine, qui se formèrent entre fin 2006 et l'été 2007. En avril 2007, à l'issue d'un message audio d'Abu Omar al-Baghdadi, prédécesseur d'Abu Bakr al-Baghdadi à la tête de l'État islamique, intitulé «Des années de moissons pour [bâtir] l'État des monothéistes» [1], le terme «baqiya», répété en boucle à onze reprises, apparaît pour la première fois dans un communiqué de l'organisation. Toutefois, ce slogan ne semble pas s'être imposé dans la communication du groupe, ni même au sein des milieux sympathisants du courant jihadiste, jusqu'à ce que le Syrien Abu Muhammad al-'Adnani le remette au goût du jour dans les discours de l'organisation.

Porte-parole de l'Etat islamique depuis l'été 2011, Abu Muhammad al-'Adnani a ainsi repris le slogan «baqiya» lors de sa seconde communication diffusée en août 2011 [2] et intitulée «Certes l'État islamique se maintiendra (baqiya)» [3].

«Bien que toutes les obédiences de l'infidélité se soient liguées contre nous [...] l'État islamique d'Irak se maintiendra (baqiya)! Baqiya, malgré vos meutes de chiens, vos alliances et vos collaborations! Baqiya, malgré vos légions et vos armes! Baqiya, malgré vos stratagèmes, vos ruses et vos complots! Baqiya, malgré votre rage, votre détestation et votre haine! Baqiya, malgré tout votre orgueil!»

Un an plus tard, en juillet 2012, c'est le leader de l'Etat islamique, Abu Bakr al-Baghdadi lui-même, qui reprend à son compte ce qui va devenir la devise de l'organisation.

«Ma chère Oumma, de même que nous n'avions pas menti lorsque nous proclamâmes l'État islamique, nous n'avions pas menti lorsque nous affirmâmes qu'il se maintiendrait (baqiya). Baqiya, malgré toutes les calomnies et les dénigrements! Baqiya, malgré tous les écueils, les épreuves et toutes les ruses des ennemis de l'intérieur comme de l'extérieur! Baqiya, [l'État islamique] restera toujours sur son dogme et sur sa voie, dont il ne déviera pas in sha Allah! Baqiya, toujours là pour combattre les Rafida [4] et les Safavides [5]!» [6]

Ainsi à partir de l'été 2012, les combattants de l'État islamique vont progressivement imiter leurs dirigeants et reprendre à leurs tours le slogan «baqiya». Cependant, le phénomène va véritablement prendre une ampleur considérable avec la sortie, en janvier 2013, du film jihadiste Salil as-Sawarim (Le bruissement des sabres) III [7]. Les premières images du troisième épisode de cette saga produite par al-Furqan, la branche médiatique de l'EI, mettent en scène un groupe de combattants suggérant une nouvelle façon de scander «baqiya». À l'instar du «takbir» auquel les musulmans répondent traditionnellement par «Allah akbar» (Dieu est grand), un personnage masqué, qui semble être un commandant d'une brigade de l'EI, lance à ses hommes «Dawlat al-Islam» (l'État islamique), tandis que ces derniers lui répondent «baqiya» [8]. C'est cette nouvelle façon de scander «baqiya» qui va progressivement s'imposer comme la marque distinctive des sympathisants de l'EI, notamment après son expansion en Syrie quelques mois plus tard.

Le 8 avril 2013, Abu Bakr al-Baghdadi révèle dans un message audio que son organisation est active en Syrie depuis l'hiver 2011, sous la couverture du groupe Jabhat an-Nusra, dont il revendique la paternité [9]. A l'occasion de ce message, il annonce l'expansion en Syrie de l'État islamique d'Irak, mais aussi le changement de nom de son groupe et de celui de Jabhat an-Nusra, qui porteront désormais un seul et même nom: l'État islamique en Irak et au Levant. Soucieux de conserver la direction de Jabhat an-Nusra, son commandant Abu Muhammad al-Jolani fit savoir qu'il ne répondrait pas favorablement à l'appel d'al-Baghdadi et se plaça sous l'autorité du chef d'al-Qaïda, Ayman az-Zawahiri. Deux mois plus tard, ce dernier annonça la dissolution de l'État islamique en Irak et au Levant, enjoignant à l'organisation d'al-Baghdadi de retourner en Irak. Dès le lendemain, la réponse cinglante d'Abu Bakr al-Baghdadi était publiée sous la forme d'un message audio, intitulée: «L'État islamique restera (baqiya) en Irak... et au Levant!» [10]. Ainsi le slogan «baqiya» devint également une façon pour les partisans de l'EI de se distinguer de ceux d'al-Qaïda, tant sur les champs de bataille que sur les réseaux sociaux.

Par la suite une variante du slogan de l'EI apparaît, «baqiya wa tatamaddad», ce qui signifie que l'État islamique se maintient et s'étend; toutefois, c'est sa forme initiale «baqiya» qui demeure le cri de ralliement privilégié par la majorité des combattants et des sympathisants de l'organisation.

Cependant, le succès de ce slogan finit par agacer, y compris dans les milieux jihadistes proches d'al-Qaïda, où certains y virent de l'arrogance, voire une certaine forme de blasphème. Ainsi Abu Khalid as-Suri, un ancien cadre d'al-Qaïda proche d'Ayman az-Zawahiri, tué en février 2014 [11], compara dans un message audio l'arrogance des supporters de l'EI à celui des partisans d'Assad, renvoyant les slogans des deux groupes dos à dos.

«Quant à votre obstination à employer le mot "baqiya", ne savez-vous donc pas que le régime [syrien] mécréant qui utilisait le slogan "pour toujours" (ila-l-Abad) est en train de disparaître et que la "survivance" (al-baqa) n'appartient qu'à Dieu, car "Tout doit périr, sauf Son Visage" [12]?» [13]

Allant plus loin qu'Abu Khalid as-Suri, certains allèrent jusqu'à accuser les partisans de l'EI de blasphème en leur reprochant de ne jamais ajouter «Si Dieu le veut» (in sha Allah) après l'emploi de «baqiya». Ces polémiques prirent une telle ampleur qu'Ahmad Bawadi, un shaykh jordanien sympathisant de l'EI, publia une épître justifiant religieusement le fait de ne pas faire suivre le slogan «baqiya» par la traditionnelle formule «in sha Allah» [14]. Selon Ahmad Bawadi, le maintien de l'Etat islamique est «une promesse divine», en vertu d'un verset coranique garantissant le maintien du Califat: tant que celui-ci se conforme aux injonctions de Dieu [15], il ne serait donc pas nécessaire d'ajouter «si Dieu le veut», puisque c'est précisément Sa volonté.

La restauration du Califat par les dirigeants de l'État islamique, le 29 juin 2014, et la nomination à sa tête d'Abu Bakr al-Baghdadi, qui prend alors le nom de «Calife Ibrahim b. 'Awwad», est avant tout l'occasion pour l'EI d'asseoir son autorité sur le courant jihadiste global en tentant de marginaliser al-Qaïda centrale en la coupant de ses branches régionales. Les organisations jihadistes régionales n'ayant plus aucune légitimité, pour reprendre les mots du porte-parole de l'EI, après la restauration d'un «Califat universel», celles-ci sont sommées de faire allégeance au Calife Ibrahim. Si les commandements des branches d'al-Qaïda en Somalie, au Maghreb islamique et dans la péninsule arabique n'ont pas fait allégeance au Califat de l'EI, toutes ont néanmoins été confrontées à différentes formes de dissidences. Outre les dissidents ralliés à l'EI au Maghreb, notamment en Algérie avec la formation de l'Armée du Califat, qui a enlevé et exécuté l'otage français Hervé Gourdel, et au Yémen, d'autres groupes indépendants d'al-Qaïda se sont ralliés au Califat. Ainsi en Jordanie, au Liban, en Indonésie, aux Philippines, ou encore au Nigéria avec Boko Haram [16], tous les sympathisants du Califat mobilisés dans l'espace public ont scandé «Dawlat al-Islam... baqiya!», pour marquer leur adhésion à l'EI en écho à la scène mythique de Salil as-Sawarim III.

Au-delà des discours, des vidéos et de la mobilisation des partisans de l'EI sur les réseaux sociaux, le succès médiatique du slogan «baqiya» s'explique aussi par une certaine réalité du «terrain» qui a vu l'organisation de l'État islamique renaître de ses cendres à plusieurs reprises. Les déclarations de Barack Obama annonçant vouloir détruire l'Etat islamique laissent donc perplexes tous ceux qui connaissent l'historique des organisations militantes de cette région. Au cours des trente dernières années, Israël n'est pas parvenu à éradiquer le Hezbollah au Liban, ni le Hamas à Gaza et lorsque les États-Unis sont entrés en guerre avec al-Qaïda en 2001, le groupe d'Oussama Ben Laden ne comptait alors qu'une seule branche en Afghanistan tandis qu'il en compte cinq de plus aujourd'hui, au Yémen, en Somalie, au Maghreb islamique, en Syrie et dans le sous-continent indien. Comprenant que les déclarations d'Obama promettant de détruire l'État islamique seront dans quelques années tournées en dérision par la propagande jihadiste, le général John Allen, émissaire spécial pour la coalition contre l'EI, demande aujourd'hui d'abandonner le terme «destroy» pour désigner l'objectif de la guerre menée par les États-Unis contre cette organisation [17]. En d'autres termes, les États-Unis ne visent plus à détruire, mais seulement à limiter et à contenir ce qui semble en phase de devenir non seulement un État, mais aussi une puissance régionale.

Romain Caillet

 


Notes

[1] Hassad as-sinin bi-Dawlat al-muwahhidin: https://www.youtube.com/watch?v=RYuk8Ra1O5s.

[2] La première intervention d'Abu Muhammad al-Adnani, en tant que porte-parole de l'État islamique, fut un éloge funèbre d'Oussama Ben Laden, diffusé en juillet 2011: https://www.youtube.com/watch?v=a_8QU7xxsNQ.

[3] https://www.youtube.com/watch?v=IQMtYMwKZjY

[4] Ce terme péjoratif, signifiant l'appartenance au parti du refus (Rafd) des trois premiers califes de l'islam - Abu Bakr (m. 634), 'Umar Ibn al-Khattab (m. 644) et 'Uthman Ibn 'Affan (m. 656) - désigne le plus souvent les chiites duodécimains, dont les principales communautés se trouvent en Iran, en Irak et au Liban. Certaines sources sunnites rapportent des hadiths attribués au Prophète Muhammad, dans lesquels il aurait prédit l'apparition des Rafida et ordonné de les combattre en raison de leur polythéisme (E. KOHLBERG, Encyclopédie de l'Islam, vol. VIII, p. 400-402).

[5] C'est-à-dire «l'expansionnisme iranien», en référence à la dynastie des Safavides (1501-1736), qui, après avoir embrassé le chiisme, parvinrent à convertir la majorité de la population iranienne à leur nouvelle foi.

[6] https://www.youtube.com/watch?v=bi7aQl7Tliw

[7] https://www.youtube.com/watch?v=ocj8P7EJU_Q

[8] Cette scène extraite a été sous-titrée en français: https://www.youtube.com/watch?v=BM0aVM7nA4Q.

[9] https://www.youtube.com/watch?v=1CukB6APYJ8

[10] https://www.youtube.com/watch?v=g22K_bI0Mno

[11] Évoluant sous la couverture de l'organisation salafiste syrienne Ahrar ash-Sham, qui n'est pas classée sur la liste des organisations terroristes, Abu Khalid as-Suri est mort dans une attaque de l'EI menée contre un QG de cette organisation. S'il n'est pas prouvé que l'attaque visait intentionnellement Abu Khalid as-Suri, sa présence sur les lieux a sans doute justifié sa mort aux yeux des dirigeants de l'EI, qui par la suite n'ont jamais invoqué la miséricorde de Dieu sur son âme, comme il est d'usage dans la tradition musulmane.

[12] En référence au verset du Coran: «Et n'invoque nulle autre divinité avec Allah. Point de divinité à part Lui. Tout doit périr, sauf Son Visage. A Lui appartient le jugement; et vers Lui vous serez ramenés.» Coran, sourate XXVIII, le Récit (al-Qasas), verset 28.

[13] https://www.youtube.com/watch?v=XtTJhbSHBFM

[14] A. BAWADI, «Ma hukm qawl "baqiya" li-d-Dawlat-al-islamiyya min ghayr taqayid laha bi-in sha' Allah» [en ligne: https://justpaste.it/h61v].

[15] «Allah a promis à ceux d'entre vous qui ont cru et fait les bonnes oeuvres qu'Il leur donnerait la succession (c'est-à-dire le Califat, le mot «Calife», en arabe «Khalifa», signifiant littéralement «successeur») sur terre comme Il l'a donnée à ceux qui les ont précédés. Il donnerait force et suprématie à leur religion qu'il a agréée pour eux.» Coran, sourate XXIV, la Lumière (an-Nur), verset 55.

[16] Abubakar Shekau, Emir du Groupe Sunnite pour la Prédication et le Jihad (GSPJ), plus connu sous le nom de Boko Haram au Nigéria, a ainsi scandé en mai dernier «Dawlat al-Islam, baqiya!» sans que l'on sache s'il s'agissait véritablement d'un ralliement à l'Etat islamique ou bien d'une tentative de récupération d'un slogan efficace: https://www.youtube.com/watch?v=ssijHvn6fpw.

[17] http://www.washingtonpost.com/blogs/in-the-loop/wp/2014/10/03/gen-john-allen-the-mission-is-degrade-not-destroy/

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