Oisiveté,
Mère de nos vices
Cupidité,
Mère de nos abysses !
Venez prendre les fils
De vos idylles lugubres.
Corruption,
Amie de Nous-Tous
Damnation,
Orchidée qui pousse !
Eloignez la mousse
De vos senteurs insalubres.
Prospérité,
Grand-mère maudite
Vérité,
Ange qui court vite !
Enlevez-nous de l'orbite
Malsain des politiques.
Enrichissement,
Idole qu'adorent les bornés
Détournement,
Prince au vilain gros nez !
Vomissez vos marées
Noires, salissantes et cyniques.
Cécité,
Ténèbres dans nos regards
Obscénité,
Handicap des nos égards !
Otez-nous les bagarres
Du pouvoir sanglant.
Misère,
Reine au sceptre douloureux
Galère,
Barque sur l'océan fiévreux !
Prenez-nous dans vos creux
Car on n'a pas d'autre plan.
Tristesse,
Flèche qui perce la main
Paresse,
Loup qui dévore le destin !
Détournez de nous vos chemins
Sombres, vos routes noires.
Libertinage,
Longue épée de pagaille
Bavardage,
Inutiles discours de marmaille !
Repêchez dans vos grandes mailles
Les errements de vos brouillards.
Impunité,
Ornement de ce nouveau régime
Insécurité,
Denrée qu'on consomme sans régime !
Lavez vos sanglantes mains de crime,
Criminelles mains de sang innocent.
Nuisances,
Arc-en-ciel ensoleillé de nos nuits
Impuissances,
Début scandaleux de tous nos ennuis !
Ecartez-vous devant les vrais appuis
Solides que procure le règne décent.
Injustice
Souffle de nos gens de lois
Préjudice,
Douleur de notre pays aux abois !
Nous ôterons d'abord les bois
Qui entravent nos regards d'aigle.
Amnistie,
Chaux qui recouvre tous les morts
Démocratie,
Juge qui condamne tous les torts !
Transformons enfin nos esprits retors
Pour ne plus chanter le mensonge espiègle.
Désarmement,
Acte qui vaut plus que des paroles
Soulèvement,
Option évidente dans un Etat drôle !
Il est temps de jouer votre rôle
Pour délivrer ce peuple exténué.
Prière,
Huile qui maintient la flamme d'espoir
Bière,
Onction qui noie le désespoir !
Les élections sont l'échappatoire
Qui n'a pas fini de faire éternuer.
Désinformation,
Train qui porte le mortel repas
Intoxication,
Feu qui embrase l'antre du trépas !
Jusques à quand poserons-nous le pas
Décisif qui éteindra les foyers de haine.
Fanatisme,
Voile qui empêche de voir la vérité
Incivisme,
Plaie qui fait suinter l'insécurité !
Brisons ensemble l'obscurité
Qui a envahi cette terre d'ébène.
Tout à coup une vision, ces sortes de rêve qu’on rêve l’œil ouvert
Sur une face étonnée ; ces sortes de rêve qui sont les flash des cieux
Dans nos pensées distraites tout le temps par la grisaille du temps,
Superflu utile qui envahit les âmes. Tout à coup donc cette vision
Haute dans la plongée du pays qui scintille des éclats sombres,et
J’aperçois dans une file droite cinq personnes sereines s’avancer
Dans un pas dignement militaire, les mains des uns sur l’épaule
Des autres, le premier, pardon la première la main sur le dos du vent
Qui souffle dans tous les sens.L’un après l’autre, les soldats fiers
De ce bataillon de fantômes, se détachèrent du groupe pour dévoiler
Leur identité cachée sous le masque hideux du prisme déformant
Placé dans l’iris des hommes dont la pensée tout comme la langue
Change à la couleur du temps ; ces hommes du village des caméléons
Qui se lèvent avec le soleil mais refusent de s’étendre sur son lit jaune.
Premièrement une femme aux cheveux longs et au sourire de gomme :
-je suis la femme de tout le monde, la prostituée sans visage ni parti
Politique, la sentinelle des libidos insatisfaites et de tous les adultères,
Celle qui dort quand le pays traîne les pieds, celle qui travaille fièrement
Quand le pays s’amuse, celle qui n’a ni congé ni férié dans l’année,
Celle qui ne pleure jamais malgré ses ennuis et qui trouve sans cesse
La force de conjurer le sort mauvais, celle que la police traque en permanence,
Celle qui n’a pas de syndicat car n’ayant que des devoirs envers
Tout le monde qui ne me reconnaît aucun droit, celle qui console
Les ministres de la république et ceux que les femmes ignorent cruellement.
Deuxièmement un homme en sueur, une lanière de cuir attachée à son bras :
-je suis l’homme de toutes les femmes, le porteur de charrette,
Charrié par les vicissitudes, celui qui use ses reins d’étranger
Venu des terres sèches du Niger, celui qu’on traîne comme un chien
Dans les détours des marchés puants, celui qui dort avec treize cousins gueux,
Riz et haricot tristes dans le ventre qui grossit de misère avilissante
Troisièmement une femme, jeune avec ses frêles jambes et son regard entêté :
-je suis la jeune fille du nord qui de lève quand sommeille le soleil rouge
De nos tropiques en chaleur, celle qui tient entre ses mains le balai matinal
Dans la cour familiale de sa grand-mère qui partage ses nuits avec le délire,
Celle qui prépare le petit déjeuner de son père sévère avec ses principes du Coran,
Celle qui part avant le réveil tardif du jour sur les routes de nos marchés
Ou se trouve l’argent du travail, du mérite et de l’abnégation vrais, selle
Pour une jeunesse sans goût ni sel.
Quatrièmement un homme, jeune avec ses nauséabondes loques de boulot :
-je suis le jeune homme sale qui tient en main la portière du Transport,
Celui qui fait le griot des quartiers d’Abidjan, celui qui parle bien
Son français à l’envers, celui qui essuie les quolibets des clients qui râlent,
Des chauffeurs qui grognent au volant de leur vieille voiture, tacot grippé,
Ferraille qui désengorge les masses, celui qui appelle, accueille, installe
Et compte les vieilles pièces de monnaie balafrées des clients qui m’amusent,
Me taquinent, m’encouragent, celui qui tombe malade tous les dix ans grâce à Dieu.
Enfin s’avança le dernier de cette légion d’honneur que j’écoutais joyeusement
Sur les ovations des ombres qui me regardaient avec beaucoup de patience.
-je suis l’être charmant qu’étranglent les mains corrompues,
L’être doux que brûle le feu de la haine, celui qu’étouffe la grande paresse
Des hommes aux visions différées. Je suis le rêve qui dort en l’homme,
La lumière sous le boisseau du chaos de nos Etats aux politiques louches
Qui bouchent les bouches des couches sur la touche de la pauvreté.
Au commencement était le christianisme,
Les missionnaires barbus dans leur toge de catholique
Etaient la voix de ceux qui criaient dans le désert subsaharien :
Aplanissez les chemins des colons ambitieux, faites leur des voies
Pour exploiter vos riches forets denses où gisent de nombreux trésors.
Au commencement était l’impérialisme,
Les pâtissiers de Berlin avaient déjà partagé le cake
Délicieux de nos terres pas encore en friche.
Au commencement était la traite négrière.
Les océans portaient et transportaient sur d’énormes navires
Les valeureux hommes de couleur pour travailler dans les champs de coton.
Au commencement était la colonisation,
Les Blancs échangeaient leur civilisation contre nos richesses.
Ensuite vinrent les luttes :
Nos pères mirent fin à l’esclavage,
Nos pères firent abolir le travail forcé.
Ensuite vint la Négritude :
Nos pères démontrèrent nos civilisations,
Nos pères firent établir la carte de nos identités.
Ensuite vinrent les Indépendances :
Nos pères proclamèrent nos Libertés,
Nos pères firent partir les Blancs chez eux.
Ensuite vinrent les Dictatures :
Nos pères furent pires que les Blancs,
Le pouvoir leur monta à la tête.
Ensuite vinrent les coups d’Etat :
Le peuple était rassasié des Vieux dirigeants
C’était l’heure de la relève.
Ensuite vinrent les guerres :
Les Fils se disputèrent le trône,
Le pouvoir ignorait le droit d’aînesse.
Aujourd’hui on recherche la paix :
La paix qui nous permettra de travailler,
Car seul le travail nous grandira.
Regarde par là-bas ce petit garçon qui marche aidé de sa canne,
Il a perdu son pied droit dans les champs de mine.
Regarde par ici cette bruyante marmaille en sanglot,
Ossements desséchés qui continuent de vivre.
Regarde là-haut ce gros avion volé sur nos terres en souffrance,
On jette des céréales comme à des poules de basse-cour.
Regarde sur ce sol les fils de ta grand-mère à jamais couchés,
Ils ont gagné leur mort dans le feu de leur haine inutile.
Regarde tout ça et commence, commence à comprendre
Pourquoi depuis longtemps on vit sans songe ni rêve,
Comprends pourquoi sans cesse des yeux me sortent de nombreuses larmes
Et pourquoi le mal-vivre me fait haïr l’ébène, couleur d’Ethiopie
Regarde tout ça et commence, commence à entendre dans ton esprit
Les litanies funestes chantées en chœur par les pauvres de chez moi ;
Entends les interminables couplets noirs des veuves sur leurs maris troués,
Entends les pleurs sans mesure de ces ventres rachitiques, claviers
De misère dont les notes jouées par l’ensemble des ténèbres lointaines
Font comprendre aux hommes d’ailleurs les géhennes quotidiennes d’ici…
Cela fait maintenant des jours,
Des jours qu’il n’est pas encore venu le camion,
Le gros camion blanc et vert qui collecte,
Qui ramasse les ordures dans le quartier.
Cela fait des jours que j’observe les chiens,
ces bâtards du coin y plonger leur museau ;
La poule et ses poussins qui mangent de l’aube au crépuscule
Ne se font pas conter le spectacle.
Cela fait des jours que Cocody
Jadis vitrine d’Abidjan, perle des Lagunes
Elève aux cieux des effluves nauséabondes.
Il ressemble maintenant aux autres, mon quartier.
Les gens ne rêvent plus d’y venir
Car les moustiques-docteurs font les piqûres du paludisme.
Il a fallu que se propage jusqu’ici la gangrène
Pour qu’on se rende compte de l’ampleur de l’insalubrité
Et qu’on voie la souffrance qu’ont toujours vécue
Ceux qui depuis leur naissance ne mangent que poubelle.
Il a fallu que le théâtre d’Adjamé Renault
Nous rende visite seulement une fois
Pour qu’on réalise le mal dans le District.
Partout, de
Les canalisations, dans les égouts, dans les maisons
C’est le même bourbier, la même odeur de putréfaction.
Les femmes vendent au bord, les gens mangent la mort ;
Les enfants, torse et pieds dénudés y prennent leur bain
Personne ne se rend compte, tout le monde ignore que
Ce sont les petits bouts de papier, les restes d’orange
Les épluchures de bananes, l’eau de vaisselle
Qu’on jette, qu’on déverse en toute innocence
Qui revient boomerang meurtrier, microbes dans nos victuailles,
Choléra dans nos quartiers, fièvre typhoïde dans nos chambres…