Prochain édito : vendredi 20 février
Une relance généralisée de l'inflation s'organise pour sortir de la crise.
"Un seul être vous manque et tout est dépeuplé", disait Lamartine dans son poème. Considérée comme l'ennemi public numéro un depuis les années
Pourtant, ce ne sont pas des cris de victoire qui accompagnent sa disparition mais bien de vives inquiétudes. Car, ironie du sort, c'est désormais son pendant, la déflation (baisse des prix), qui nous menace. Un mal encore plus terrible, qui a fait vivre au Japon l'une des pires crises de son histoire, et dont le souvenir devrait faire frémir n'importe quel banquier central aux commandes d'une politique monétaire aujourd'hui.
C'est le scénario à éviter à tout prix, quitte à faire ressurgir nos vieux démons inflationnistes du placard. Ainsi, les instances monétaires sont-elles en train de baisser pavillon les unes après les autres. Les Etats-Unis ont entamé une politique monétaire à taux zéro et le Royaume-Uni en prend le chemin. L'objectif est de réagir vite avant que l'inflation ne devienne effectivement négative. En zone euro, la politique monétaire est à l'image de la croissance économique : sans excès.
Certes, après avoir combattu ce fléau pendant tant d'années, il y a quelque chose de troublant à souhaiter aujourd'hui son retour. Et pourtant, l'inflation est le compagnon de route idéal pour sortir d'une crise de la dette. Et compte tenu des plans de sauvetage gigantesques qui sont à l'œuvre actuellement, les Etats devraient au final absorber une grosse partie de l'endettement des ménages et des banques, faisant ainsi croître fortement les déficits publics dans les années qui viennent. La relance de l'inflation, qui rend moins onéreux le financement de ces déficits par les gouvernements, qui démonétise aussi le stock des dettes, pourrait alors constituer un remède de premier choix.
En matière de politique économique, les vérités d'hier ne sont pas celles de demain. Ainsi, l'inflation pourrait devenir rapidement notre meilleure alliée face à la crise et vraisemblablement la seule issue de secours face aux dangers plus grands encore qui nous menacent. A condition toutefois de parvenir à relancer la machine économique et financière, donc inflationniste. C'est l'enjeu du moment.
Prochain édito : vendredi 23 janvier
Les marchés boursiers devraient difficilement tourner la page d'une année 2008 désastreuse.
Avec une chute de 42.6%, le Cac 40 a clôturé la pire année de son histoire, à l'image des autres indices européens. Si chacun est évidemment pressé de tourner la page, ce serait commettre une erreur que de la déchirer.
Les leçons doivent être tirées au-delà du traditionnel grief adressé aux spéculateurs en période de crise boursière ; et avoir un véritable débat de fond sur les futures réglementations à mettre en place, au regard de la propension naturelle de l'industrie financière à contourner ces règles par le biais de l'ingénierie financière. Cette analyse doit être réaliste, approfondie et sans complaisance. Née aux Etats-Unis, la crise a été d'abord immobilière, puis financière, avant de toucher la consommation et, par effet de contagion désormais, la croissance mondiale. Dans ce contexte, les banques centrales ont fait tout ce qu'elles pouvaient pour limiter la casse, déversant un flot de liquidité sur les économies et abaissant pour certaines leur taux d'intérêt jusqu'à des niveaux planchers.
Ces mesures d'urgence étaient incontournables mais n'auront pas réussi à véritablement réinstaller la confiance sur les marchés. La conjoncture mondiale se dégrade d'ailleurs à toute allure. Le Fonds monétaire international (FMI) est sur le point d'abaisser encore ses prévisions de croissance qu'il estimait, début novembre, à 2.2% pour l'année 2009. Ainsi, la crainte que les actions conjointes des banques centrales et des Etats ne suffisent à éviter une dépression mondiale est encore vive. Les gouvernements sont d'ailleurs sur la brèche, et seront amenés très certainement à muscler encore leurs plans de relance.
Autant de pilules que les marchés financiers convalescents avaleront sans réticence pour soulager leur douleur. Mais si l'accalmie de ce début d'année laisse entrevoir une lueur d'espoir pour 2009, la véritable flamme ne devrait très certainement pas jaillir avant l'été prochain.
Toute l'équipe de CHART'S vous souhaite une excellente 2009 !
Prière de contacter Ben Bernanke.
Bonne ou mauvaise, la stratégie de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de son patron Ben Bernanke a au moins le mérite d'être claire. En décidant de se doter d'un taux directeur fluctuant entre 0% et 0.25%, à son plus bas niveau historique, la Fed a frappé fort, dépassant les attentes du marché.
Cet assouplissement monétaire, comme les neuf précédents depuis l'été 2007, a ainsi pour vocation d'aider les banques à se refinancer à faible coût en leurs permettant d'emprunter à un taux quasiment nul. Le loyer de l'argent se retrouve en effet désormais réduit à sa plus simple expression. A travers ce geste, l'institut monétaire choisit donc délibérément d'ouvrir le maximum de vannes pour éteindre l'incendie qui ravage l'économie mondiale. Ben Bernanke démontre ainsi qu'il préfère larguer des billets de banque par hélicoptère plutôt que de se faire manger à la sauce déflationniste. De nombreuses voix s'élèvent d'ailleurs pour dire que ce geste ne suffira pas et que la Fed sera très rapidement contrainte d'innover en matière d'assouplissement monétaire pour parvenir à ses fins.
En Europe, la banque centrale, portée depuis 30 ans par la bataille déclarée contre le fléau de l'inflation galopante, semble encore hésitante à emboiter le pas de son homologue américaine. Adhérer à cette stratégie agressive obligerait en effet les gardiens du temple monétariste à punaiser un voile sur les risques de retour de l'inflation que cette montagne d'argent injectée dans le système pourrait risquer de provoquer tôt ou tard. Aux Etats-Unis en revanche, le hasard a voulu que Ben Bernanke, spécialiste éminent de la crise de 1929 et de la déflation japonaise des années 90, soit à la tête de la Réserve fédérale au moment où son pays traverse une profonde crise financière et économique. De la théorie à la pratique, il n'y qu'un pas qu'il doit désormais franchir. Car il faut se demander si dans pareille situation, souhaiter le retour de l'inflation ne serait pas finalement un moindre mal.
EDITO CHART'S N°706
Prochain rendez-vous : vendredi 9 janvier 2009
Excellentes fêtes de fin d'année à tous !
Les Etats-Unis enregistrent les pires destructions d'emplois depuis 34 ans.
Si les investisseurs cherchaient des raisons de se réjouir à l'approche des fêtes de fin d'année, ce ne sont pas les chiffres de l'emploi publiés aux Etats-Unis vendredi dernier qui les auront rassurés. Au contraire, ces derniers ont agi comme une douloureuse piqûre de rappel sur l'état de santé calamiteux de l'économie outre-Atlantique, donc par extension quasi mondiale.
Et pour cause, l'Oncle Sam a perdu un demi-million d'emplois en novembre, portant du même coup le taux de chômage à 6.7% de la population active. Même les économistes, pourtant déjà pessimistes au départ, ne s'attendaient pas à un tel naufrage. Comme toujours dans une telle période, les comparaisons historiques pleuvent, et nous rappellent ainsi que les Etats-Unis n'ont pas perdu autant d'emplois en un mois depuis décembre 1974, lors du premier choc pétrolier. Au total, pas moins de 1.9 million de personnes ont perdu leur travail aux Etats-Unis depuis janvier.
Dans l'industrie, la plupart des secteurs sont concernés, même si l'automobile est particulièrement pointée du doigt. Plus inquiétant, les services, un temps épargnés, sont désormais également dans l'œil du cyclone. Sur la seule semaine dernière, ATT a annoncé le licenciement de 12,000 personnes, l'éditeur de logiciel Adobe celui de 8% de ses effectifs, le fonds d'investissement Carlyle 10% et celui de Legg Mason 8%, le groupe de médias Viacom 7%. Face au danger qui menace de plus en plus l'économie réelle, les gouvernements doivent s'attaquer de front au problème de l'emploi.
Les banques centrales, de leur côté, abaissent désormais sans calcul leurs taux d'intérêt, de la Réserve Fédérale américaine en passant par la Banque d'Angleterre. Même réticente, la banque centrale européenne a finalement coupé la semaine dernière de 75 points de base son principal taux directeur, du jamais vu. Des cadeaux de Noël que les marchés n'ont pas boudé qui mais ne suffiront pas à illuminer la fin d'année. En attendant des jours meilleurs, espérons-le dès 2009.
A vouloir voir dans la crise actuelle la fille ainée de celle de 1929 les gouvernements, partout dans le monde, concoctent sans réticence des plans de relance. L'incendie bancaire semble éteint, le risque de crise financière s'estompe lentement et il est jugé désormais indispensable de tout faire pour que la débâcle ne gagne l'économie dite réelle : les ménages et les entreprises, qu'elles relèvent de l'industrie ou des services. La situation est grave et on se félicitera ici qu'il n'ait pas fallu trop argumenter pour que les pouvoirs publics en conviennent.
Hélas la confusion demeure, même s'ils veulent bien faire et - c'est l'essence de la politique - montrer qu'ils font bien. Tout le monde a compris que la bonde de l'orthodoxie financière a sauté - la belle aubaine - et on s'apprête donc à relancer sans retenue, et probablement sans discernement. Relancer quoi, avec quels objectifs, et comment ? Stimuler la demande ou renforcer l'offre ? Soutenir la consommation des ménages ou favoriser l'investissement des entreprises ? Construire l'avenir ou perfuser des secteurs (automobile et promotion immobilière en tête) dont la crise n'a fait que confirmer qu'ils n'avaient pas su se renouveler à temps ?
A ne pas choisir, à confondre action publique et clientélisme, la fameuse relance risque de n'avoir pour unique effet que de faire taire pour un temps les grognements corporatistes, sans préparer aucunement le pays à une sortie de récession à pleine puissance et sur des bases renouvelées. Il y a un vide sidéral qu'il paraît urgent de combler entre l'ampleur des moyens mis en œuvre et l'imprécision des buts qui semblent poursuivis.
Or la crise fournit une occasion remarquable d'une refonte de l'économie française ; et, osons le paradoxe, elle peut lui permettre de devenir plus forte qu'elle n'est actuellement. Les voies à emprunter sont tracées : privilégier l'investissement public et non les dépenses sociales de redistribution ; muscler les entreprises et non gonfler artificiellement la consommation des ménages ; investir dans les grands actifs mondiaux sur lesquels la France affiche une compétence et un talent réels : construction, transports, énergie, réseaux de communication et de transmission de données, environnement, économie de la connaissance. Choisir, en d'autres termes, l'avenir aux petits arrangements avec un présent trop pesant.
Le secteur de la sidérurgie fait le deuil de la fusion BHP - Rio Tinto.
L'échec de la méga-fusion entre les sidérurgistes BHP Billiton et Rio Tinto représente le symbole le plus visible de l'éclatement de la bulle spéculative sur les matières premières. Attendue depuis un an comme la plus grande acquisition de toute l'histoire depuis celle de Mannesmann par Vodafone en 2000, célébrée au plus haut de la bulle technologique, le montant de cette offre inamicale hors-normes entre les numéros deux et trois du secteur de la sidérurgie aurait dû alerter sur le degré d'irrationalité d'une telle opération, déclenchée dans l'exubérance des derniers mois qui précèdent un retournement du marché.
A l'époque, l'offre de 3.4 actions BHP pour une action Rio Tinto valorisait la cible 140 milliards de dollars. Entre temps, bien de l'eau est passée sous les ponts, astreignant au moins temporairement à la rouille ces experts des métaux ferreux. Car quelques mois et une crise financière plus tard, le montant de cette valorisation délirante a fondu comme neige au soleil. En effet, la division par deux ou trois depuis cinq mois du cours des principaux métaux a quelque peu rogné les perspectives de résultats de ces géants miniers et, par extension, sur leurs cours de Bourse.
Les griefs de la Commission européenne quant à l'opération envisagée, qui auraient obligé BHP à vendre certaines activités, principalement dans le minerai de fer et dans le charbon, deux secteurs qui lui semblaient particulièrement attractifs, ont également été du plus mauvais effet. Enfin et pour couronner le tout, dans une période où le crédit est devenu aussi rare que cher, les dirigeants du groupe se sont inquiétés du niveau élevé d'endettement de leur cible. Concrètement, la charge de la dette de Rio Tinto estimée à 42 milliards de dollars aurait représenté un poids ingérable pour le nouvel ensemble.
La prudence aura donc fini par l'emporter dans cette affaire. Les experts le soulignent. Si les synergies entre les deux groupes, mises en avant par BHP pour justifier le projet, sont toujours là, personne ne semble désormais prêt à payer pour.
La bulle des hedge funds est en train d'exploser.
En même temps que les gouvernements des pays développés sont engagés dans des plans de sauvetage de plus de 2000 milliards de dollars destinés à sauver les banques, les discours se multiplient pour déclarer la guerre à la spéculation. Le combat, perdu d'avance, ne date pas d'hier. Lors du krach de 1987, le marché des instruments dérivés, largement popularisé depuis, avait essuyé une pluie de critiques acerbes à son encontre.
Aujourd'hui, les hedge funds (appelés fonds d'arbitrage ou spéculatifs), semblent les coupables tout désignés. Mal compris voire méconnus, ces fonds ont eu le vent en poupe ces dernières années, garantissant un apport précieux de liquidité sur les marchés. Or, sans écarter une part de responsabilité indéniable dans l'excès de volatilité actuel, ces fonds apparaissent davantage comme des organes révélateurs de la faillite du système. S'arrêter de réfléchir en affirmant qu'ils sont la racine du mal serait commettre une grave erreur de jugement.
D'ailleurs, si certains d'entre eux ont su tirer parti des enjeux qui se tramaient dans les couloirs de la finance et en tirer de substantiels profits, la plupart de ces fonds sont en train de disparaître et le secteur est désormais en passe d'être décimé. Dans des marchés disloqués, l'effet de levier conduit très souvent à d'énormes pertes. Les retraits de leurs fonds par les clients obligent les gérants de hedge funds à vendre des actifs à prix cassé.
La chute d'un grand nombre de ces fonds sera inévitable. Les experts estiment que les rangs de cette industrie pourraient se contracter de moitié, voire des deux tiers. Seuls les plus gros survivront ou ceux qui, habiles, avaient su anticiper la crise des subprimes. Car à la différence des banques d'investissement, personne ne viendra sauver cette industrie en déroute. Les gestionnaires de hedge funds le savent : en matière de spéculation le risque pris a toujours été à la hauteur des gains attendus.
Confrontés à un effondrement monumental des ventes, des résultats financiers catastrophiques et des cours de Bourse en chute libre, les géants américains du Big Three (les constructeurs automobiles Ford, Chrysler et General Motors) sont aujourd'hui menacés de disparition.
Comme un serpent qui crache son venin, la crise financière touche désormais de plein fouet l'économie réelle, exacerbant les difficultés déjà existantes. Ainsi, le secteur automobile apparaît désormais comme une véritable crise dans la crise. Jadis, fer de lance de l'économie américaine, cette industrie n'est aujourd'hui plus que l'ombre d'elle-même, les trois colosses du secteur annonçant tour à tour, au fil des semaines, plans de suppressions d'emplois, fermetures de sites industriels et retards dans le lancement de modèles.
General Motors (GM), qui brûlerait actuellement près d'un milliard de dollars de liquidités par mois, se doit concrètement d'économiser au maximum car à ce rythme, les caisses seront vides avant même l'arrivée du printemps.
L'ancien numéro un mondial de l'automobile, dépassé depuis, comme un symbole, par Toyota, et qui emploie près d'un quart de million de personnes, semble le plus menacé, alors que de l'aveu même de son président, Rick Wagoner, le groupe n'a jamais été aussi proche de la faillite. Si un tel poids lourd du secteur en arrivait à une telle extrémité, les conséquences industrielles seraient désastreuses, à l'image de la faillite de Lehman Brothers dans le secteur de la finance. Pas étonnant alors que le gouvernement américain se porte en urgence à la rescousse de l'industrie automobile. En plus du déblocage de 25 milliards de dollars de prêts déjà autorisés par le Congrès, les Big Three réclament une rallonge de 25 milliards supplémentaires pour pallier leur problème immédiat de liquidités.
Bref, un remède de cheval qui ne sera peut-être même pas suffisant tant la situation est grave. Nombreux en effet sont ceux qui pensent aujourd'hui que même si GM échappe à la faillite, son avenir y ressemblera. Car le mastodonte roule désormais avec une fuite dans le réservoir d'essence et, dans ces conditions, faire le plein ne saurait constituer à lui seul une solution miracle.